Le bien-être des éleveurs est un enjeu central pour l'avenir de l'élevage. Améliorer leurs conditions de travail est crucial, non seulement pour revaloriser la profession et attirer de nouvelles générations, mais aussi pour garantir la pérennité du secteur et préserver notre souveraineté alimentaire.
Parmi les défis auxquels font face les éleveurs, le temps de travail et les astreintes quotidiennes occupent une place importante. Une solution envisageable pour alléger cette charge est la monotraite. Cette pratique consiste à réduire la fréquence des traites à une seule fois par jour, que ce soit sur certaines périodes de la semaine, de l’année, de la lactation, ou de façon continue et peut s’appliquer à tout ou partie du troupeau.
Contexte et enjeux
Pour mieux comprendre les enjeux de la monotraite, les partenaires du programme Reine Mathilde, dont nous faisons partie, ont mené une enquête auprès de 10 éleveurs laitiers bio en Normandie. L’objectif était d’explorer différents aspects de la monotraite : les motivations des éleveurs, les impacts économiques, sanitaires et sociaux, ainsi qu’avoir le ressenti des éleveurs après plusieurs années de monotraite afin d’identifier les pratiques à adopter et les écueils à éviter.
Les fermes qui ont accepté de témoigner ne prétendent pas être exemplaires, mais elles nous offrent un aperçu des résultats et des moyens mis en œuvre, illustrant la diversité des expériences. Les systèmes enquêtés sont des systèmes très herbagers (94% d’herbe dans la SAU en moyenne) et pâturant (300 jours de pâturage à l’année en moyenne).
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Résultats
Le principal enseignement de l’enquête est l’observation d’une diminution d’environ 25% de la production. Cette diminution est contrebalancée par une augmentation des taux (bien qu'insuffisante à elle seule pour compenser économiquement la perte de volume) et par une amélioration de l’état qui améliore la fertilité. Ces meilleurs résultats sur la reproduction contribuent à permettre de faire vieillir le troupeau. Cependant, le point fort unanimement relevé par les éleveurs est l’amélioration de leur qualité de vie : la réduction du temps de travail et surtout une plus grande flexibilité, avec moins d’astreintes quotidiennes, entraînant une diminution de la fatigue physique et mentale.
Parmi les points d’attention, le taux de cellules nécessite une surveillance accrue et devient un critère de sélection essentiel pour plusieurs éleveurs pratiquant la monotraite. Un conseil partagé par plusieurs est de ne pas se lancer sans réfléchir dans la mise en place de la monotraite. Une réflexion préalable sur les conséquences d’un passage en monotraite et la visite de systèmes qui le pratiquent peut permettre de se lancer dans la monotraite en connaissance de cause.
Enfin, à la question que nous posions aux éleveurs : « Que changeriez-vous si c’était à refaire ? », la quasi-totalité nous a répondu « J’aurais commencé plus tôt ! »
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Benoît Decultot, éleveur dans le 76
Faisant partie des 10 éleveurs enquêtés, Benoît Decultot pratique la monotraite hivernale depuis 3 ans. Installé à Saint-Jouin-Bruneval sur 75ha de prairies en vaches normandes, il témoigne :
« J’ai commencé la monotraite à l’hiver 22-23. À cette période de l’année où les vaches produisent moins car elles sont en fin de lactation du fait de mes vêlages groupés j’ai plus de mal à trouver la motivation de me lever tôt pour aller traire, et avec les difficultés que je rencontre pour trouver de la main d’œuvre, j’ai du mal à trouver un équilibre entre mon travail et ma vie personnelle.
J’ai donc tenté la monotraite, sachant que les trois hivers précédents j’étais en 3 traites / 2 jours. Mais avec ce format le changement de rythme tous les jours ne me convenait pas. J’ai donc choisi de commencer la monotraite en novembre, mais je réfléchis à commencer plus tôt, avant que les animaux ne rentrent pour l’hivernage pour ne pas cumuler transition alimentaire et passage en monotraite. Cela me permet de ne pas avoir de contrainte le matin et je gagne beaucoup en souplesse dans l’organisation de ma journée.
Résultat : je me sens moins fatigué l’hiver et ma famille est contente que je puisse me libérer un peu plus de temps pour eux. Le premier hiver j’ai eu quelques soucis, je n’ai pas eu les taux attendus, mais le deuxième hiver a été beaucoup plus satisfaisant et j’ai atteint des taux que je n’avais jamais eus. Même si je pense pouvoir m’améliorer en prenant plus de précautions sur la litière pour diminuer encore le risque de cellules, je suis très satisfait d’avoir mis en place cette pratique que je vois s’étaler sur des périodes de plus en plus longues. J’adapte ma période de vêlage pour pouvoir allonger ma période de monotraite. L’argument économique n’a pas trop pesé dans ma décision de passer à la monotraite, j’étais serein car mes annuités baissaient beaucoup les années suivantes. »
Cet article a été rédigé à partir du travail réalisé dans le cadre du programme Reine Mathilde dont les publications sont à retrouver sur cette page.