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Nous sommes convaincus de l’importance de l’élevage dans les systèmes agricoles, et de la nécessité de le maintenir, voire de le développer dans les zones où il n’est pas assez présent. Mais conscients de l’urgence climatique, nous cherchons à toujours mieux comprendre l’impact des systèmes que nous accompagnons dans l’optique d’aider à le limiter.

L’élevage des ruminants en particulier est au centre du débat de l’impact de l’agriculture, et c’est pourquoi les polyculteurs-éleveurs bovins du groupe du Pays de Bray se sont réunis autour de Xavier Poux pour une formation sur le Carbone en lien avec l’élevage, dont nous vous partageons une partie dans cet article.


Les émissions de gaz à effet de serre (G.E.S) liées à l’élevage

Quelle part des émissions G.E.S liée à l’agriculture française ?

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Attention : Les émissions importées (= nécessaires à la production d’aliments ou de biens importés en France) ne sont pas comptabilisées.

Si elles étaient comptabilisées, cela pourrait entrainer autour du doublement des émissions de G.E.S.

En Europe, le soja constitue un gros poste d’émissions de G.E.S (déforestation associée + émissions liées à l’importation + émissions importées).

 

Depuis 2011, les émissions associées à l’industrie ont diminué un peu (10 % industrie énergie et 18 % industrie manufacturière), et dans une moindre mesure le secteur résidentiel et tertiaire (18 %, plus efficace dans l’absolu mais la surface des logements par personne a augmenté). En revanche, les émissions liées aux transports ont augmenté (31 %).

Quelle répartition des sources d’émissions de G.E.S au sein du secteur agricole ?

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Fermentation entérique = décomposition des aliments (notamment glucides) par les micro-organismes du rumen entrainant la formation de méthane (CH4). La quantité de méthane varie selon les espèces mais aussi la quantité et la qualité des aliments ingérés.

Déjections animales = leur stockage et leur décomposition

Sols agricoles = gestion des sols, notamment en lien avec la fertilisation minérale et organique

 

Différentes manières d’allouer les émissions :

Sans trop rentrer dans le détail ici, il est important de savoir que le calcul des émissions de G.E.S et leurs impacts diffèrent selon la méthode de calcul. Par exemple, dans le cas de la production de lait, il est possible :

  • d’allouer tous les impacts au lait et aucun à la viande,
  • d’allouer les impacts aux deux,
  • de répartir les impacts d’un point de vue énergétique selon le nombre de kilocalories produites,
  • de répartir les impacts d’un point de vue protéique.

De même, on peut raisonner à la quantité produite, ou à la surface : un système alimentaire durable s’évalue au regard de la gestion des espaces qu’il mobilise, pas d’une performance/kg en faisant abstraction des quantités totales produites.

Ainsi si on utilise les métriques d’affichage environnemental, le bilan GES du kg de poulet en batterie est meilleur que celui du poulet de plein air. Mais, si on multiplie les impacts par la quantité de poulets de batterie produits, ce système n’est pas souhaitable. La question que l’on pose ici : veut-on pouvoir produire et consommer le plus de poulets de batterie possible, ou produire et consommer moins de poulets, mais qu’ils soient produits en plein air ? Selon la réponse, on peut choisir le mode de calcul qui favorise un type d’agriculture plutôt que l’autre !

Ne souhaitant pas entrer dans le débat « Peut-on nourrir le monde avec une agriculture durable ? » dans cet article, nous vous proposons de vous référer à ce document comme premier élément de réponse.

Il n’est pas possible d’avoir une évaluation complète d’un produit sans réflexion globale à l’échelle des besoins et du système alimentaire.

Les principaux G.E.S émis par l’élevage :

 Il existe 3 principaux gaz à effet de serre (G.E.S) issus de l’élevage :

  • le dioxyde de carbone (CO2), surtout issu de la consommation d’énergies fossiles.
  • le protoxyde d’azote (N2O), principalement lié à la fertilisation azotée et à la décomposition des déjections. 
  • le méthane (CH4), lié à la fermentation entérique qui est une étape du processus de digestion des aliments par les ruminants.

Le méthane est un gaz dont la présence dans l’atmosphère a un fort pouvoir réchauffant en comparaison avec une quantité égale de CO2 : il « emprisonne » efficacement la chaleur sur Terre. C’est pourquoi on lui attribue un fort Potentiel de Réchauffement Global (PRG) et qu’il est courant d’entendre qu’il est « 25 fois plus réchauffant que le CO2 », en réalité son pouvoir réchauffant peut-être différemment considéré en fonction de l’horizon de temps sur lequel les calculs sont réalisés. En effet, à un horizon de 100 ans, le Potentiel de Réchauffement Global du méthane est de 27 à 29.8 fois celui du dioxyde de carbone.

On s’intéresse maintenant à la durée de vie de ces gaz dans l’atmosphère. Si on considère le CO2, 30 ans après son émission, il ne restera que 50 % du dioxyde de carbone émis, contre 36 % au bout de 100 ans. Une vingtaine de pourcents pourrait rester dans l’atmosphère pour des milliers d’années. Ainsi le CO2 que nous émettons s’accumule avec le temps : même si nos niveaux d’émissions de CO2 se stabilisent, la quantité de CO2 dans l’atmosphère continue d’augmenter, ainsi que sa contribution à l’effet de serre. Le méthane, lui, a une durée de vie beaucoup plus courte dans l’atmosphère : 30 ans après son émission, il ne restera que 8 % du méthane émis, 100 ans après son émission, il n’en restera que 0.02 %.

Les ruminants et le cas du méthane

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Dans le cas de l’élevage de ruminants, un impact important est l’émission de méthane par les animaux. Il n’est pas à écarter et la quantité de CH4 présente dans l’atmosphère a une réelle contribution à l’urgence climatique dans laquelle nous nous trouvons, mais voici une vision permettant de relativiser son importance en comparaison des émissions de CO2 issues des énergies fossiles :

Si on émet l’hypothèse d’émissions constantes :

  • Le CO2 ayant une durée de vie importante dans l’atmosphère, il s’y accumule : chaque émission de CO2 accroit sa quantité dans l’atmosphère.
    Concentration (à l’instant t+1) = 2 x concentration (à l’instant t)
  • Le méthane ayant une durée de vie plus courte, si on prend un pas de temps d’une douzaine d’années, le méthane produit « remplace » le méthane qui s’est évacué. Sa quantité dans l’atmosphère reste stable
    Concentration (à l’instant t+1) = concentration (à l’instant t)

Source : Lynch, J. (2019). Agricultural methane and its role as a greenhouse gas. Food Climate Research Network, University of Oxford

Si les émissions augmentent :

  • L’évolution du réchauffement due au CO2 est exponentielle.
  • L’évolution du réchauffement due au CH4 est linéaire.

Si les émissions diminuent :

  • L’évolution du réchauffement due au CO2 continue tant qu’il y a des émissions ⇒ Seul l’arrêt de toute émission de CO2 permet de stabiliser le réchauffement lié au CO2.
  • Le réchauffement lié au CH4 diminue jusqu’à atteindre 0 quelques décennies après l’arrêt des émissions de CH4.

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Schématisation de l'impact des évolutions des émissions des gaz sur le réchauffement induit par ces gaz.

Lorsque le CH4 se décompose, il se transforme en CO2. Seulement, il s’agit du CO2 absorbé par les plantes et mangé par les vaches = contrairement au carbone fossile, il participe au bouclage du cycle du carbone.

En effet, si l’herbe n’avait pas été mangée par la vache, elle aurait fini par se décomposer. Le carbone présent dans la plante aurait alors intégré à court terme le stock de carbone du sol. Donc sans la vache, c’est moins de CO2 mais du carbone dans le sol qui aurait fini par être minéralisé.


Les effets positifs de l’élevage des ruminants dans son bilan carbone

Nous l’avons vu, l’élevage a une empreinte carbone non négligeable, cependant il a aussi des effets positifs qui viennent améliorer son bilan.

 Le prisme du carbone ne suffit pas. Cet article traitant principalement de l’empreinte carbone, nous ajouterons une parenthèse : Le système de production doit être vu par un prisme plus large que le simple bilan carbone. Le cycle de l’azote, la biodiversité, l’entretien des paysages, la lutte contre l’érosion, l’usage des produits sanitaires et leur impact sur la qualité de l’eau, la qualité nutritive, sanitaire et gustative des produits sont autant de paramètres qui doivent être pris en compte pour choisir le modèle alimentaire que nous voulons. En ayant cette vue d’ensemble, il nous semble que le maintien et le développement d’élevages extensifs apporte son lot d’avantages.


Les prairies stockent du carbone

Dans le cas où les ruminants sont nourris avec de l’herbe, ils contribuent à maintenir, voire à augmenter, les surfaces en herbe.

Selon les sources :                                                                                               

  • les stocks de carbone sous prairies représentent 80 à 85 t/hectare.
  • les stocks de carbone sous cultures représentent 40 à 50 t/hectare.

Les stocks de carbone sont beaucoup plus importants sous prairies que sous cultures. C’est notamment lié au travail du sol et aux apports d’engrais minéraux associés aux cultures.

Quel impact d’un changement d’occupation du sol ?

Image6Le retournement d’une prairie entraine des émissions de carbone pendant 20 ans. Le déstockage est très important dans les premières années puis le stock de carbone se stabilise autour de 40 t/hectare. Lors de la réimplantation d’une prairie, le stockage de carbone est à peu près symétrique.

En revanche à usage constant, les cultures et les prairies ne stockent pas de carbone supplémentaire.

Malgré cela, le stock de carbone dans les sols est colossal. Souvent, on ne parle que de la variation du stock et non du stock dans sa globalité.

Les ruminants permettent de réduire les flux d’azote

Grâce aux légumineuses dont elles sont pourvues, les prairies permettent de fixer des quantités importantes d’azote à partir du diazote atmosphérique. Le transfert de cet azote par l’apport de fumier aux cultures permet de limiter l’apport d’azote minéral, produit grâce au procédé Haber qui est très énergivore et à forte empreinte carbone.


La transition agroécologique : repenser notre système alimentaire ⇒ ruminants ou monogastriques ?

Nous l’avons vu, l’empreinte carbone de l’agriculture doit être vue de façon globale, et ne pas être réduite au simple équivalent CO2 / kg de nourriture produite. Il s’agit de repenser nos systèmes de production pour les rendre plus durables.

Un exemple de cette reconception passe par rééquilibrer la proportion de ruminants élevés par rapport aux monogastriques. En effet, les ruminants seuls ne peuvent être les responsables des implications de notre système de surconsommation de viandes. Ainsi, se questionner sur l’impact de réchauffement de l’ensemble des élevages est nécessaire. Au niveau mondial, l'intensité des émissions de GES des ruminants (93 kgCO2eq par kg de protéines) est beaucoup plus faible que celle des monogastriques (159 kgCO2eq par kg de protéines) (Cheng, L., Zhang, X., Reis, S. et al. (2022). Les variations sont importantes suivant le mode de production des aliments et les systèmes d'élevage.

En raison des émissions dues au changement d’usage des terres (conversion de prairies et de forêts en terres cultivées), l'intensité des émissions de GES liées à l'alimentation des monogastriques est beaucoup plus élevée que celle des ruminants. L'intensité des émissions de GES liées à la transformation, au transport, à la culture et à la fabrication d'engrais est également plus élevée pour les monogastriques (36 kgCO2eq par kg de protéines et par an) que pour les ruminants (26 kgCO2eq par kg de protéines). Enfin, chez les ruminants, les émissions de CH4 des bovins laitiers (22 kgCO2eq par kg de protéines) sont beaucoup plus faibles que celles des bovins viande (173 kgCO2eq par kg de protéines) en raison d'une plus grande efficacité de synthèse de protéines, et d’une dilution par la production de lait.


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Niveau d’émissions de GES (y compris CO2, CH4, N2O) de tous les systèmes d'élevage au niveau mondial. Les barres rouges représentent les émissions de carbone causées par les changements d'utilisation des terres pour la production de l’alimentation animale. Les barres jaunes représentent les autres émissions de carbone provenant de la culture des aliments, de leur transformation et formulation. Les barres bleues représentent les émissions de GES dues à l'élevage des animaux et donc contiennent les émissions de méthane entérique. Les lignes rouges et noires représentent respectivement les émissions moyennes pour les ruminants et les monogastriques. (Cheng, L., Zhang, X., Reis, S. et al. (2022))


Ainsi Cheng, L., Zhang, X., Reis, S. et al. (2022) proposent des scénarios d’optimisation de la valorisation des fibres par les ruminants qui permettraient de libérer des terres en limitant les cultures pour l’alimentation animale. D’autres leviers existent pour limiter les émissions de GES de l’élevage des ruminants, particulièrement la gestion des effluents, émetteurs de N2O. Libérer des terres pour nourrir directement les humains plutôt que le bétail pourrait améliorer la sécurité alimentaire.

Pour rappel, nos systèmes intensifs - à première vue économes en surface, car le maïs mobilise moins d’hectares que les prairies pour la même quantité de matière sèche - mobilisent en réalité souvent des terres à l’autre bout du monde pour la production de protéines et autres aliments importés dans le système.


Conclusion

Dans le contexte d’urgence climatique que nous vivons, chaque atténuation du réchauffement global est précieuse, et diminuer la quantité d'aliments d'origine animale produits et consommés est un levier indispensable à actionner.

Cela remet-il en cause l’élevage ? Nous pensons que ce n’est absolument pas le cas, car en plus de participer à une alimentation équilibrée, l’élevage a un rôle important à jouer dans l’émergence d’une agriculture durable lorsqu’il est mis en lien étroit avec la production de cultures. C’est alors la nature de l’élevage qui est à repenser avec des systèmes moins intensifs en intrants et davantage basés sur l’herbe, dont l’empreinte environnementale à l’hectare s’amoindrit et dont les produits de qualité seront consommés en moindre quantité. Le système alimentaire devant être regardé dans son ensemble, cela passe aussi par une sensibilisation des consommateurs sur le modèle de société qu’ils favorisent par leurs achats, mais aussi de l’impact de leur alimentation sur leur santé. La qualité de l’eau, critique dans certaines zones normandes, doit aussi rentrer en ligne de compte.

La baisse d’émissions de CH4 qui en résulterait serait intéressante, mais très loin d’être suffisante, tant les émissions de CO2 liées à l’utilisation des énergies fossiles ont un impact prolongé dans le temps. En résumé, baisser les émissions de méthane est nécessaire, mais ne permet que de gagner du temps. Une fois le plancher atteint, il n’y a plus de levier à actionner et cela ne peut pas compenser le maintien des émissions de CO2 et de N2O.

Pour aller plus loin :